Ce vendredi de fin novembre, à Chaponnay, petite commune pavillonnaire dans la banlieue sud-est de Lyon, le temps maussade n’incite pas à sortir. Mais les élèves de CE2-CM1 d’Anne-Lise Groleaz ne se font pas prier. « C’est beaucoup mieux que de rester enfermés ! », se réjouit Thaïs, 8 ans. Une chance, le parc municipal, assez vaste, n’est qu’à 5 minutes à pied de leur école. Un grand barnum installé à demeure permet de s’abriter de la pluie. À la demande de leur enseignante, les enfants déplient deux grandes bâches de jardinage et s’assoient dessus pour écouter les consignes.
Calcul et conjugaison au plein air
Cet après-midi, deux adultes secondent la maîtresse pour encadrer les 24 élèves. Une accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) s’occupe de l’atelier d’anglais, un papa enthousiaste organise le relai multiplications, et l’enseignante anime le sprint de conjugaison. « ‘Ils’ avec ‘vouloir’ », crie-t-elle. Deux enfants se font la course jusqu’à une fiche posée à 30 mètres du point de départ, dans l’herbe. Vite, ils rédigent la réponse : « ils veulent », avant de revenir au point de départ. Pareil pour les tables de multiplication, qu’encadre le papa accompagnant : les enfants doivent courir jusqu’à lui, donner la bonne réponse à la multiplication qu’il leur souffle, avant de repartir taper dans la main du camarade suivant. Les cris d’encouragement sont tels que le papa finit par préciser : « Ceux qui gagnent ne sont pas forcément ceux qui courent vite, mais ceux qui savent le mieux leurs tables de multiplication ! »
Du mouvement !
Conjugaison, calcul, anglais... quel rapport avec la nature ? Le premier intérêt de "l’école dehors", c’est déjà d’être debout, de courir, de bouger, d’avoir de la place, de pouvoir parler fort... « Ils ont l’impression de jouer, mais en fait, ils travaillent. » Apprendre sans être forcément assis derrière un bureau – c’est l’un des objectifs d’Anne-Lise Groleaz, qui pense en particulier à ses élèves touchés par des troubles de l’apprentissage ou de la concentration : « Je les trouve plus acteurs de leurs apprentissages, ils participent plus qu’en classe. Et je les vois sous un autre jour. » Certains l’ont d’ailleurs dit clairement : le fait qu’il n’y ait pas de trace écrite les tranquillise, ils osent davantage se tromper. Les rires fusent dans le parc, et la maîtresse apprécie : « on s’amuse ensemble, c’est précieux et ça reste en mémoire. »
De petits naturalistes ?
Le cadre naturel permet bien sûr d’introduire des apprentissages scientifiques sur la faune et la flore. Chaque élève a ainsi pour mission de ramasser une feuille d’arbre, et quelques minutes suffisent à rassembler de quoi constituer un herbier collectif en classe. Ce sera l’occasion d’introduire des notions de classification botanique. Lors d’une autre séance, ils ont aussi élaboré un abécédaire de "l’école dehors", classant par ordre alphabétique tout ce que l’on pourrait rencontrer dans le parc municipal. Des réponses du type « J comme Jaguar » ont souligné à quel point les enfants n’étaient pas tous familiers de leur environnement. D’autant que le pic-vert, cité pour la lettre P, n’était connu que d’une poignée d’entre eux. « Je suis moi-même citadine, reconnaît la maîtresse, je ne suis pas du tout au point sur la faune et la flore, mais j’aime apprendre de nouvelles choses. Je me documente, j’apprends plein de choses ! »*
J’ai les pieds mouillés !
Au fil de la séance, les plaintes se multiplient : « Mes chaussures sont trempées ! », « j’ai plein de boue sur mon pantalon, ma mère va me gronder ! » ... La maîtresse tranche : « C’est la loi de l’école du dehors ! C’est pas grave ! » Depuis le confinement, elle observe que les enfants, plus casaniers, rechignent au contact direct avec l’herbe, la terre... Ces petits désagréments ne pèsent pas lourd pour Elsa et Romy, deux copines de CM1, âgées de 9 ans et demi : « Même s’il fait froid, ça fait du bien d’être en dehors de l’école et de prendre l’air. A force d’être dans la classe, on est tout excités, on fait plein de bruit. »
La séance se termine par un rituel autour des sens : « C’est important de les rendre attentifs à ce qu’ils perçoivent et ressentent. On le fait trop peu dans notre société. » Rassemblés sur les bâches, les enfants lèvent la main pour dire ce qu’ils voient, entendent ou sentent au toucher ou à l’odeur. Pour finir, la maîtresse leur lit, dans un silence très attentif, un album qui met en scène un oiseau migrateur. « On pourrait faire ça tous les jours ? » conclut une petite voix avant que toute la troupe ne reprenne le chemin de l’école.
*elle lit par exemple les dossiers de La Salamandre !
Photographies © Antoine Boureau