Comment la nature muscle l’estime de soi de l’enfant

Retrouvez notre enquête éducation pour découvrir comment la confiance en soi se met en place chez les élèves lorsque l’on enseigne dehors. Car dehors, quand l’enfant est libre de choisir l’activité qui l’inspire et le temps qu’il y consacre, qu’il mène sa tâche jusqu’au bout, il apprend, il se sent compétent et fier de lui. C’est sur cette estime de soi renforcée qu’il s’appuiera pour se lancer dans de nouveaux apprentissages. Comment cette confiance en soi s’épanouit-elle ? Et comment la « ramener » en classe ?

13 min de lecture

Lucie, Émilie et Walaa-Eddine sont en 4e Segpa (1) au collège Charles-de-Gaulle, à Seltz (Bas-Rhin). Leur classe a bénéficié de 10 séances d’école dehors avec Magali Savio, animatrice nature (2). Au fil de l’année, ils ont construit un canapé forestier, des arcs et des flèches, une flûte, un circuit avec des boules en bois, etc. Surprise n° 1 : ces élèves et leurs copains se sont passionnés pour ces activités. Et (grosse) surprise n° 2 : un bon nombre – dont certains pourtant fâchés avec l’école – se sont accrochés, et ont découvert qu’ils pouvaient être créatifs, motivés… et confiants dans leurs capacités !

Faire des choses concrètes, de A à Z

Dans la nature, on fait des choses qu’on n’aurait jamais imaginées. Émilie témoigne : « On a fabriqué un canapé forestier avec des troncs de bouleau. On a dû tailler des bouts de bois, les intercaler entre eux, en enfoncer d’autres dans le sol. On a travaillé tous ensemble et à la fin, le canapé était trop confortable ! »

Les élèves sont fiers d’eux, d’autant qu’au préalable, Magali Savio ne leur avait pas donné de photo de ce qu’est un canapé forestier : « Celui qu’ils ont construit, c’est eux-mêmes qui l’ont conçu ! »

Il y a aussi une motivation nouvelle à faire quelque chose « pour de vrai », dit Walaa-Eddine : « En classe, j’avais du mal à terminer mon travail. Je m’arrêtais à la première difficulté. Dans la forêt, je fabrique quelque chose de concret, avec mes mains ; ça donne envie de le terminer ! » Son enseignante, Nadège Rieu, confirme : « Les élèves sont devenus plus persévérants. »

De plus, dehors, l’enfant est libre de consacrer le temps qu’il veut à une tâche. Il en explore toutes les facettes, recommence autant de fois qu’il veut, jusqu’à maîtriser son geste et être satisfait. Un petit enfant peut ainsi grimper à un arbre et en descendre 30 fois de suite, avant de passer à autre chose.

Anne-Christine Koller, qui emmène ses « grands » de 4-5 ans de l’école maternelle Jules-Verne, à Laval (Mayenne), dans le parc d’à côté avec prairies, ruisseaux et étangs, l’a bien noté : « Après une période pluvieuse, nous sommes allés dans notre coin nature, en bottes et vêtements de pluie. Une ‘’rivière’’ de boue nous attendait. Les enfants se sont régalés ! Ils ont patouillé, fait de la peinture de boue avec des branches, expérimenté le déplacement sur sol glissant ou la sensation de succion de la boue sur les bottes. »

L’expérience, toute simple, est un concentré d’apprentissages moteurs, cognitifs et sensoriels dont les enfants sortent ravis : ils ont expérimenté, en ont tiré des enseignements, sont devenus plus compétents. Et contents de cette progression.

Un groupe plus serein, donc plus audacieux

Passer du temps dehors « cimente » le groupe classe.

Magali Savio détaille : « Pour déplacer les morceaux de bouleau de 2 mètres de long du (futur) canapé forestier, il faut forcément coopérer ! Et quand un copain tape à la masse sur un bout de bois tenu par un autre, mieux vaut lui faire confiance. »

Les élèves de la Segpa et leurs enseignants l’ont senti, l’ambiance en classe a changé. « En début d’année, se souvient Émilie, on se chamaillait beaucoup. Mais en allant dehors, on a pris l’habitude de communiquer et de travailler ensemble. On se donne des conseils, on se prête des outils et si l’un ne comprend pas, il y a toujours quelqu’un pour lui expliquer comment faire. On s’est découvert les uns les autres ! Et la classe est plus soudée. »

Enfin, poursuit l’animatrice, être dehors permet de trouver une autre issue aux conflits ordinaires entre élèves en classe : « Quand certains étaient prêts à exploser, ils s’éloignaient un moment, puis revenaient une fois apaisés. En classe, cette possibilité n’existe pas ! »

Dans un groupe plus serein, les élèves ont confiance les uns dans les autres. Ils osent faire plus de choses car ils savent qu’en cas de difficulté, les autres les épauleront, sans se moquer ni les juger.

Dehors, la peur de l'erreur disparaît !

La peur de « mal faire » sape l’estime de soi et paralyse l’enfant. Bonne nouvelle : dans la nature, l’erreur n’existe pas.

Sarah Wauquiez, psychologue et pédagogue par la nature (3), s’explique : « Il faut voir l’erreur ou l’échec comme une chance d’apprendre. On est dans une démarche d’expérimentation : quelque chose n’a pas marché ? Eh bien, on fait une hypothèse. Et on recommence ; on persévère jusqu’à réussir et être fier de soi. À l’occasion, on découvre aussi deux choses : dehors, personne ne sait tout - même les enseignants ! Ensuite, il n’y a pas une seule façon de faire qui est juste, et toutes les autres fausses, mais quantité de variantes pour parvenir à ce qu’on veut réaliser. »

Magali Savio, d’ailleurs, ne parle pas « d’erreur », mais « d’essai ». Elle se souvient d’un groupe d’élèves, dont le projet de construction d’un circuit pour boules en bois, trop ambitieux, n’a pas abouti. Elle leur a dit : « Ce n’est pas grave, vous avez testé des choses, c’est bien ! Vous recommencerez autrement à la prochaine séance. » Parfois aussi, par peur de l’échec, les élèves renoncent à la première difficulté : « Je ne sais pas faire » ou « Je suis nul(le) pour ça, moi ! » Dans ce cas, l’animatrice répond : « Je ne vois pas un élève nul. Je vois un élève qui essaie… et je suis là pour t’aider ! » Une fois lancé, l’élève peut continuer tout seul.

Cette erreur, c’est juste une information qui va mener l’élève jusqu’à la réussite, ajoute Anne-Christine Koller : « Par exemple, l’enfant pose le pied sur une branche, qui casse. On formule des hypothèses sur ce qui a pu se passer : la branche était trop fine pour supporter son poids ? Le bois était pourri ? Une chose est sûre : quand on a identifié l’erreur, on est déjà dans la bonne direction. Il suffira de recommencer pour trouver la solution ! »

L’enseignante raconte une belle anecdote sur la vertu de l’erreur. Un jour en forêt, ses petits élèves décident de fabriquer une hutte. Ils vont chercher de longues branches, qu’ils posent les unes à côté des autres. La hutte prend forme. Résultat superbe… à ceci près qu’il manque une porte ! « Je les ai laissés faire. À la fin, j’ai juste demandé : “C’est quoi, déjà, une cabane ?” Quand ils ont répondu : “C’est un endroit dans lequel on peut entrer”, ils ont compris leur oubli… Ils ont corrigé leur erreur en débattant de quelle branche enlever pour créer une ouverture. »
De retour en classe, l’enseignante a pris un temps pour mettre en mots ce que les enfants avaient vécu. Cette erreur leur a beaucoup appris. La difficulté rencontrée, la capacité de s’y confronter et de persévérer : que d’étapes franchies ! Elle insiste : « L’effort est très bon pour l’estime de soi : il rend heureux et fait grandir… »

Editions La salamandre - Salamandre ecole - Illustration Jacques Azam - Nature muscle estime de soi de enfant
Illustration @Jacques Azam

Des qualités jusque-là ignorées

Dans la nature, l’enfant montre des qualités passées inaperçues jusque-là. L’enseignante confirme : « L’autre jour, pour développer l’attention des enfants, j’ai demandé à chacun de rester dans un (tout petit) espace et vérifier s’il y observait de la vie. C’est dur, pour des enfants petits, de voir un insecte, une araignée, des gendarmes. Ils m’ont épatée : c’était incroyable de les voir si attentifs, capables de repérer une petite fourmi sur une branche ! Dans cette époque qui ne favorise pas l’attention, ils sont restés concentrés longtemps. »

En créant des situations inédites (car dans la nature, on s’adapte sans cesse), la classe dehors sert de révélateur de talents… qu’on ne savait pas qu’on avait. C’est le cas d’Émilie : « J’ai découvert que j’avais beaucoup d’imagination en land art ou lors des travaux de groupe. »

Nadège Rieu, elle aussi, est surprise de ce qui se révèle : « En discutant de choses intimes avec les élèves, en chemin vers la forêt, j’ai appris à les connaître autrement. J’ai découvert chez certains des compétences naturalistes, pour le bricolage ou organisationnelles que je ne voyais pas en classe. »

Par ailleurs, dehors, ce n’est pas le savoir académique de l’enfant qui est utile mais plutôt son savoir-faire (pour faire une cabane), sa capacité à grimper en haut d’une butte ou organiser une tâche à plusieurs, note Sarah Wauquiez : « Des enfants peu valorisés en classe découvrent que leurs capacités ‘’non-académiques’’ sont appréciées dehors ! » De plus, quand le corps est investi, « l’enfant apprend à se connaître. Il se teste (“Jusqu’où je peux grimper dans cet arbre ?”), apprend à dépasser ses limites (“Comment je résiste au froid ?”), à trouver sa place dans le groupe, etc. Cette meilleure connaissance de soi, sur le plan corporel et sur le rapport aux autres, l’enrichit ».

Une autre relation à l'enseignant

Dehors, l’enseignant ne sait pas tout : il n’est pas forcément un grand naturaliste, il tâtonne dans les activités nature, parfois autant que les enfants. Ainsi, les collégiens de la Segpa ont découvert les trois enseignants (SVT, allemand, documentation) du projet école dehors sous un autre jour : « Voir son prof tailler un pieu à la hache, ça désacralise l’image qu’on se fait de lui ! », précise Magali Savio. La relation change, aussi, pour Walaa-Eddine : « En marchant avec nos professeurs jusqu’à la forêt, on parle, on apprend à mieux les connaître. Du coup, les tensions diminuent. »

Cette relation plus horizontale donne au jeune l’envie d’oser plus de choses. Se sentant plus à la hauteur de l’adulte, il a plus confiance dans ses capacités.

Par ailleurs, l’enseignant n’est pas le même dehors que dedans. Lucie témoigne : « On était évalué mais autrement qu’en classe : c’était plus amusant ! » Nadège Rieu a en effet proposé des évaluations sur tablettes : « Un bon moyen de relier la nature au numérique ! Nous avons aussi regardé des vidéos – en allemand – pour voir comment les animaux passaient l’hiver. » Même constat du côté de Magali Savio : « Les outils d’aujourd’hui, comme les applis PlantNet (lorsque les élèves ont ramassé des plantes) et BirdNet, m’ont permis d’éveiller la curiosité des jeunes. J’ai aussi utilisé des jeux de mots pour leur faire retenir 20 noms d’animaux et de plantes ; un mois plus tard, ils s’en souvenaient encore ! »

S’instruire, donc, mais autrement, avec un autre rapport à l’enseignant. La motivation de l’élève est alors titillée ; il s’accroche. Cela nourrit son estime de soi, qui soutient sa curiosité, et lui donne confiance pour plonger sans angoisse dans l’inconnu qu’est par essence tout nouvel apprentissage.

Comment « ramener » en classe l'estime de soi observée dehors ?

De retour en classe, pour obtenir cette belle estime de soi, propose Sarah Wauquiez, l’enseignant peut multiplier les feedbacks positifs lorsque les élèves font quelque chose de positif (ils ont coopéré, ils ont été créatifs, etc.). Il peut aussi s’intéresser au chemin qu’emprunte un enfant lorsqu’il fait un exercice plutôt qu’au seul résultat obtenu, être attentif à ses ressentis et à toutes ses qualités (et pas seulement à ses talents en français ou en maths).
Il peut également « importer » en classe les qualités découvertes dehors : « Grâce à ce qu’on leur a fait vivre dehors, je montre aux enfants qu’ils sont capables de gestes mesurés, posés, dit Anne-Christine Koller. De retour en classe, je leur apprends à effectuer des tâches minutieuses : prendre des graines avec une pince à épiler, manipuler une petite pipette, etc. Les enfants réalisent qu’ils sont capables d’attention pour apprendre des lettres, reconnaître des chiffres… »

L’enseignante laisse aussi aux enfants plus d’autonomie (à l’image de ce qui se passe dehors). Ainsi, après la séance de ’’peinture de boue’’ avec des branches, dehors, les enfants ont exprimé l’envie de refaire la même chose en classe. « J’ai suivi leur idée… C’était intéressant pour eux, d’être à l’initiative de ce qu’ils allaient faire en classe », ajoute-t-elle.

Pour Sarah Wauquiez, « quand les enfants font l’expérience que leur enseignant les écoute, prend en compte leurs paroles et leurs besoins, ils se sentent considérés. C’est l’estime de soi collective de la classe qui grandit ! »

Résultat ? Les enfants ont plaisir à travailler. Ils le font pour eux, pour le plaisir d’apprendre et de progresser. Tout le monde y gagne, rappelle Anne-Christine Koller, car « ce plaisir, c’est le moteur des apprentissages ! » Nadège Rieu observe les mêmes effets : « Mes élèves ont gagné en confiance en eux : c’est une énorme réussite, pour eux qui souffrent souvent de porter l’étiquette de “nuls” ! Ils ont fait des choses que les autres ne font pas. Aux journées portes ouvertes du collège, où ils ont exposé leurs réalisations, les autres élèves n’en revenaient pas qu’ils aient fait des arcs, des jeux, etc. Cela a été un moment très valorisant ! Ils ne se rendent pas encore compte des qualités développées avec ces séances dehors, et de ce qu’ils ont appris sur eux-mêmes. »

Ils le mesureront un jour… en continuant – espérons-le – à fréquenter la nature. Pour y puiser de quoi nourrir et régénérer leur estime de soi, qui leur servira de carburant toute leur vie.

Découvrez tous nos articles conseils pour les enseignants, ainsi que nos fiches pédagogiques pour tous niveaux.

Découvrez la revue Petite Salamandre, pour les 4-7 ans et la revue Salamandre Junior, pour les 8-12 ans, abonnez votre classe et vos élèves à nos offres spéciales école !

(1) Une classe Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté) accueille au collège, de la 6e à la 3e, des jeunes qui ont des difficultés scolaires importantes et persistantes.

(2) À la Maison de la Nature du Delta de la Sauer et d’Alsace du Nord.

(3) Auteure de Future skills. Cultiver en plein air les compétences d’avenir, Books on Demand, et de L’École à ciel ouvert, avec Nathalie Barras et Martina Henzi, Salamandre/Fondation Silviva.

Nos images sont protégées par un copyright,
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur