L’école du dehors, c’est risqué, vraiment ?

À première vue, c’est plus rassurant de faire l’école entre quatre murs qu’en forêt : on ne se fait pas de frayeur si un élève glisse de sa chaise plutôt que d’un tronc d’arbre ! Et dans une cour de récréation bétonnée, il n’y a pas de recoins où se cacher, pas d’arbres desquels chuter. Ouf, tout le monde respire… En est-on si sûr ? De quoi prive-t-on les enfants qu’on empêche de faire des explorations présentant un petit risque (grimper, sauter, etc.) ? Peut-on grandir sans prendre de risque ? Et comment éveiller l’enfant aux risques de la nature ?

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La (trop) grande prudence de l’école

« Douuuucement ! Ne grimpez pas aux arbres, vous allez tomber ! » Combien d’élèves ont été rabroués à l’occasion d’une sortie nature ? Obsédée de sécurité, l’école française a cherché à gommer tous les risques… Sarah Wauquiez, enseignante, pédagogue par la nature et psychologue (1), le constate : « Quand je travaille en France, je suis plus contrainte qu’en Suisse : il y a tant de règlements sur la sécurité que cela devient un frein. On se demande : ‘’Si l’enfant tombe/se blesse, qui sera responsable ?’’. Cette logique du ‘’Et si…’’ freine tout élan ! »

Et nous, parents, emboîtons le pas, élevant nos enfants à l’intérieur plutôt que dehors, tant nous redoutons les tiques, les frelons, les branches qui tombent ou la rivière en crue. En aurions-nous trop fait ? « Nous avons surtout oublié qu’éduquer à la prudence s’apprend, dit la sociologue Anne-Louise Nesme (2). Il ne s’agit pas de faire croire que dehors, c’est un milieu sans risque ; il faut accompagner les enfants à repérer les possibles risques (tomber dans l’eau, se blesser, etc.). Mais au nom du risque, on a confondu la prudence et l’absence d’expérience. L’existence de risques justifie-t-elle qu’on n’apprenne pas aux enfants à se protéger ? »

De quoi prive-t-on un enfant qu’on soustrait au risque ?

En limitant les sorties nature, on réduit certes les risques encourus, mais on empêche l’enfant d’acquérir trois apprentissages essentiels. « D’abord, note la psychologue Ève Piorowicz (3), on le prive d’une exploration précieuse de sa motricité, de son corps et de ses capacités ! Dehors, l’enfant expérimente et apprend par son corps. Étayé par ces expériences, et comme il y a un continuum entre le corps et l’esprit, il se découvre grimpeur, observateur, esthète, habile de ses mains, etc. Cela lui donne confiance en lui. »

Cela l’empêche en outre d’apprendre la vigilance… Comme si, en lui évitant toute prise de risque, on lui faisait croire qu’une vie sans risque était possible ! « Ce fantasme du risque zéro prend beaucoup de place, soupire Kellie Poure, éducatrice nature aux Écologistes de l’Euzière (4). Je vois bien qu’à cause de lui, certains enseignants se refrènent. » Or, vivre, c’est prendre des risques, alors autant que l’enfant s’y confronte ! Pour Anne-Louise Nesme : « Dehors, l’enfant aiguise sa connaissance de ce qu’il peut faire/ce qui est difficile pour lui ; cela lui permet de s’ajuster : il vérifie par exemple qu’il est moins à l’aise en hauteur, donc qu’il doit faire plus attention à son équilibre. »

L’enfant ne va pas se mettre en danger : il sait intuitivement ce qu’il peut faire ou ne pas faire. On ne se réveille pas un jour en sachant prendre des risques, et en connaissant ses capacités ! Sans cet apprentissage progressif, on devient un adulte frileux ou à l’inverse qui prend trop de risques.

Enfin, note Élise Sergent, qui sort en forêt avec ses CE2, CM1 et CM2 à Mancenans (Doubs), « En surprotégeant l’enfant, on met l’adolescent qu’il deviendra en danger : car un enfant jamais exposé au risque perd la capacité d’observer avant de faire. Or, savoir réagir face aux tiques, aux glissades ou aux chutes, ça s’apprend ! Si on laisse monter un enfant dans un arbre sans lui dire ‘’Pas trop haut !’’, il trouve par lui-même ses limites : arrivé à une certaine hauteur, il a un peu peur… et s’arrête ! » Ève Piorowicz confirme : « L’enfant ne va pas se mettre en danger : il sait intuitivement ce qu’il peut faire ou ne pas faire. » Kellie Poure enfonce le clou : « On ne se réveille pas un jour en sachant prendre des risques, et en connaissant ses capacités ! Sans cet apprentissage progressif, on devient un adulte frileux ou à l’inverse qui prend trop de risques. »

Une dose de risque modérée et progressive

Il faut donc une exposition graduelle aux risques, avec trois règles de base : respecter soi-même, l’autre et son milieu. Plus des règles en fonction du lieu et du profil des enfants : ainsi, Kellie Poure autorise les enfants dont elle ne connaît pas l’agilité à grimper dans un arbre jusqu’à hauteur de leur visage. Elle donne aussi au jeu libre un cadrage spatial, qui sécurise : « Il est concrétisé par des cercles d’autonomie croissante qui évoluent selon l’âge des enfants ou au fil de la séance : au début, tout le monde reste dans les deux premiers cercles. Ensuite, on peut ouvrir le 3e (celui de l’exploration), où l’on ne voit plus les enfants. Un adulte circule dans cet espace pour jouer avec eux et voir si tout va bien. Chaque enfant laisse aller sa curiosité, en restant près des adultes ou plus loin, selon ses capacités. »

Illustration © Océane Meklemberg - Salamandre École. / © Océane Meklemberg

Évaluer les risques de l’école dehors

Au préalable de toute sortie, l’enseignant repère les risques du coin nature qu’il a choisi : y a-t-il un ruisseau, une mare ? Des espèces dangereuses ? Des insectes venimeux ou des plantes toxiques ? S’il y a des arbres hauts, dans quel état sont-ils ? Qu’annonce la météo pour le jour de la sortie ? Élise Sergent ne sort jamais par vent fort : « On ne prend pas le risque de se faire blesser par une branche qui casse. »

Dans la cour bétonnée de l’école, il y a chaque semaine des genoux écornés, alors qu’en forêt, en trois ans, je n’ai pas eu un seul bobo !

L’idéal est donc d’examiner le rapport bénéfice-risque de la sortie : vaut-il mieux laisser l’enfant assis 6 heures par jour en classe ? Ou le laisser sortir, peut-être trébucher sur une souche et revenir avec des genoux boueux ? Et une jambe griffée par une ronce, une basket mouillée, est-ce si grave ? « Dans la cour bétonnée de l’école, il y a chaque semaine des genoux écornés, alors qu’en forêt, en trois ans, je n’ai pas eu un seul bobo ! », se réjouit l’enseignante. Mais il reste toujours une petite dose de risque, comme les tiques. L’enfant doit apprendre à se couvrir et s’inspecter après chaque sortie. Quant aux rencontres inopinées (scolopandre, frelon, etc.), comment réagir ? « On transforme cette contrainte en opportunité : on se pose, et on observe… », dit Kellie Poure.

Le Danemark et ses petits bûcherons…

Dans les écoles en forêt danoises, il n’est pas rare de croiser un enfant de 4 ans, scie à la main, en train de couper du bois. On imagine pareille scène en France, et les cris qu’elle déclencherait ! Là-bas, l’apprentissage du risque est progressif ; et les scies les plus coupantes sont rangées en hauteur. L’enfant qui a réussi à couper son bout de bois gagne en motricité, en concentration et en confiance en soi. Trois ingrédients précieux pour aborder n’importe quel apprentissage… et ne pas se faire mal quand il aura la scie à grandes dents entre les mains !

Illustration © Océane Meklemberg - Salamandre École. / © Océane Meklemberg

Faire face à l’imprévu et à l’inconnu

Quoiqu’on fasse, la nature oblige à s’adapter sans cesse. Un exemple ? Sa première année de classe dehors, en 2018, Élise Sergent est sortie en forêt avec sa classe peu après une coupe de sapins. Le lendemain, la moitié des élèves avait des réactions cutanées. La coupe avait dû déranger des chenilles processionnaires, qui avaient semé des poils (urticants) en bougeant. Juste après, Élise avait réunion avec les parents : « J’étais catastrophée : cela faisait 5 mois qu’on faisait école dehors. J’ai craint que les parents veuillent tout arrêter. Je les ai fait voter. Tous ont voulu continuer ! Ils comprenaient qu’on n’avait rien pu éviter ; on a juste changé d’endroit… »

C’est l’apprentissage n°1 de l’école dehors : la nature nous oblige à improviser, et c’est ainsi que l’enfant devient adaptable et créatif. Elle nous apprend aussi, comme écrit Boris Cyrulnik (5), qu’« il faut toujours nouer la ficelle de l’aventure avec la ficelle de la sécurité ». Une formule qui s’applique à tout apprentissage : avec un adulte bienveillant, dans un cadre étayant, l’enfant peut sauter dans le grand bain du savoir. Et nourrir sa curiosité… Qui ne demande que cela !

Aider l’enfant à évaluer les risques

Au lieu de crier « Attention ! », il existe maintes façons d’éveiller la vigilance de l’enfant. Voici quelques questions à lui poser… qu’il se formulera lui-même bientôt.

  • Il a beaucoup plu, ces jours-ci. Comment trouves-tu le sol ? Le tronc est-il glissant ?

  • As-tu noté que ce rondin est pourri, cette branche est fragile ?

  • As-tu vu les orties, les épines, tes copains pas loin ?

  • Tu es bien chaussé ?

  • Tu montes sur cette branche, d’accord. Tu as regardé où tu peux mettre ton pied, ensuite ? Tu as vérifié que la branche était solide ?

  • Comment te sens-tu : en sécurité ? fatigué ? excité ? apeuré ?

  • Comment vas-tu grimper sur cette souche/traverser ce ruisseau ?

  • En cas de « danger imminent », essaie de bouger doucement et avec soin, mais sans perdre de temps.

Références en notes de bas de page

(1) Et auteure de L’Ecole à ciel ouvert, avec Nathalie Barras et Martina Henzi, La Salamandre/Fondation Silviva

(2) Auteure de Cultiver la relation enfant-nature. De l’éloignement à l’alliance, Chronique Sociale.

(3) Auteure avec Sabine Turcat de Bébé, dis-moi tout !, Leduc.

(4) Elle est aussi membre de la Dynamique Sortir !, un groupe de travail du REN, Réseau École et Nature (aujourd’hui FRENE) - frene.org

(5) Dans De Chair et d’âme, Odile Jacob.

Merci aussi à Ruth Joiner, de l’École Buissonnière !

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