Les 4 saisons de l’école dehors

Fréquenter toute l’année scolaire un même lieu de nature, c’est une expérience incroyable pour percevoir le passage des saisons, le temps qui passe, découvrir «pour de vrai» le cycle de la vie, s’adapter aux éléments et à plus fort et/ou plus grand que soi.

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C’est un petit garçon, un jour de novembre, quelque part dans les montagnes suisses. Nathalie Barras, pédagogue par la nature (1) accompagne des 3-6 ans en forêt ; ce petit garçon vit son second début d’hiver. Aujourd’hui, il y a du vent, des bourrasques de grésil… « C’est la tempête », s’écrie-t-il 20 fois pendant la séance, fasciné par la puissance de ce qu’il ressent peut-être pour la première fois de sa vie ! Une tempête ? Peut-être pas. Mais une initiation à la découverte des saisons, ça, oui…

Le temps qu’il fait…

Ça veut dire quoi, « une saison », quand on a 4 ans ? Stéphanie Chaudron, enseignante à l’école maternelle Condorcet, à Besançon, accompagne ses élèves de 3-6 ans en forêt chaque semaine (ou un peu moins, selon la saison) : « À cet âge, ils n’apprennent pas les saisons abstraitement, en classe. Pour eux, c’est une expérience sensorielle : ils ressentent le chaud, le froid, le vent sur la peau, l’effet d’un nuage devant le soleil. »

Nathalie Barras abonde : « Ils n’ont pas encore la notion des 12 mois de l’année ni des saisons. Avant d’acquérir cette connaissance cognitive, ils accumulent différents vécus sensoriels. Désormais, il fait frais. Les enfants sont attentifs aux sensations liées à ces basses températures et aux informations qu’ils recueillent : le soleil plus bas, les feuilles qui tombent. Ils apprennent beaucoup par proprioception. Quand il fait froid, on se réchauffe autour d’un feu dans le brasero, et on fait griller des châtaignes. Pour eux, l’hiver sera associé à cette expérience sensorielle forte ! »

… Et le temps qui passe

La valse des saisons se mesure aussi aux changements - parfois discrets - qu’observent les enfants. Élise Sergent, enseignante à l’école de Mancenans (25) sort chaque mardi avec ses CM1 et CM2 en forêt : « En arrivant, on s’installe en cercle sur les rondins et on écoute. On observe ce qui a changé en une semaine : les couleurs de la forêt, la présence (ou l’absence) des oiseaux, un champignon qui a disparu. Les yeux des élèves s’aiguisent : ils repèrent le soleil plus bas en hiver, les feuilles qui virent au rouge. Ils sont très observateurs ! »

Après quelques semaines froides au cœur de l’hiver, dès le solstice passé, note Nathalie Barras, « on sent le renouveau. Cela commence à sentir fort (le renard a marqué ce territoire de son urine). Puis vers février, on entend les oiseaux, et en mars, les bourgeons apparaissent ! » Observer ces changements est riche, sur un plan pédagogique, détaille Crystèle Ferjou, pionnière de l’école dehors (2) : « La nature, en n’étant jamais exactement la même d’une semaine sur l’autre, mais pas trop différente non plus, offre la juste proportion de nouveau et de réconfort qui stimule la curiosité de l’enfant sans le désorienter. »

L’école dehors, de l’automne à l’été

C’est une bonne chose que l’école dehors démarre en septembre, quand il fait encore bon. Emilie Lagoeyte, pédagogue par la nature (3), remarque : « Quand l’hiver arrive, les enfants ont déjà leurs repères. Ils peuvent avoir froid, alors on propose des activités qui les réchauffent : on court, on saute… Ce n’est pas le moment pour faire une séance de rêverie ou de méditation ! »

Nathalie Barras confirme : « Je ne recommanderais pas de commencer l’école dehors par l’hiver : c’est un peu austère ! En revanche, l’hiver a tout son sens dans la course des saisons. » Car la thématique des séances dehors se fait en fonction de la saison… et il y a des rendez-vous à ne pas rater : en début d’année scolaire, les criquets à observer avec sa boîte-loupe (ils ne seront bientôt plus là) ; à l’automne, les champignons qui apparaissent/disparaissent d’une semaine à l’autre.

Émilie Lagoeyte et les 6-11 ans qu’elle accueille le mercredi pour un atelier nature chérissent la séance au printemps où tout le monde se régale de tartines de pain et de fromage frais décorées de violettes et de primevères ! « La cueillette de ces fleurs se fait sur une fenêtre très courte, de 2-3 semaines seulement. On guette ce moment toute l’année. »

Les 4 saisons de l'école dehors - Anne Lamy - La Salamandre
Illustration @Océane Meklemberg

Faut-il une pause hivernale ?

Sortir ou ne pas sortir au cœur de l’hiver ? Telle est la question, que de nombreux enseignants se posent… Nathalie Barras répond : « L’humain a oublié de s’accorder avec l’hiver, contrairement au monde animal ou végétal qui se met en pause pour économiser de l’énergie. Et si on s’inspirait des autres vivants ? » On peut continuer à aller dehors, oui, mais moins souvent. Car ces séances doivent rester une expérience positive… Et avec le froid, la pluie, elles peuvent ne pas l’être.

Émilie Lagoeyte témoigne : « Nous avons accompagné jusqu’à fin octobre une classe de maternelle. Un mois plus tard, les enseignants nous ont rapporté qu’à la dernière séance, les enfants ont eu froid. Alors, pour le moment, ils font une pause ; ils retourneront dehors au printemps ! »

Stéphanie Chaudron partage cet avis : « Je ne sors pas s’il pleut et s’il fait trop froid. Certaines familles ne sont déjà pas emballées par l’école dehors, alors ce n’est pas la peine d’être trop radical ! Si la séance doit être inconfortable, je n’en vois pas l’intérêt. Je l’ai vécu une fois : nous étions sortis après plusieurs jours pluvieux. Les bottes des enfants collaient dans la boue… Personne ne garde un bon souvenir de ce jour-là ! » L’enseignante ne sort pas sans quelques précautions : casquette et eau, l’été. L’hiver, c’est le trio écharpe + gants + bonnet ; elle prévoit aussi une tisane chaude et même quelques plaids, pour les plus frileux.

Il ne faut pas voir tout cela comme une contrainte. Pour Nathalie Barras, « C’est plutôt un repositionnement humble : on accepte d’être vivants comme les autres vivants, donc de “faire avec” les éléments. » L’experte rappelle au passage que « humble » vient de « humus », qui veut dire terre, sol. Autrement dit, on se reconnecte à la terre… et on s’adapte, comme le font tous les vivants !

Le cycle du vivant

Dehors, les exemples ne manquent pas, pour voir la vie qui émerge et celle qui se termine. Élise Sergent raconte le travail de sciences sur le cycle de vie de l’arbre, basé sur les observations des élèves : « En automne, on identifie des espèces de notre forêt et on découvre des parties de l'arbre. Puis on observe les fruits de l'arbre. En hiver, on explique pourquoi l'arbre se met en hibernation… Ensuite, on va observer les bourgeons et assister à leur débourrage avant d'expliquer la photosynthèse puis la reproduction des fleurs au printemps. On met l'année scolaire à faire la leçon de reproduction des arbres, au fil des saisons, en partant d’observations faites sur le terrain. Je suis sûre que pour les élèves, ces “leçons” sont plus ancrées en eux que tout ce que j'aurais pu faire en classe ! »

Autre exemple : il y a peu, avec un groupe de 6-7 ans, Émilie Lagoeyte a trouvé un écureuil mort, à côté du canapé forestier. Un spectacle intrigant pour les enfants, surtout que deux semaines plus tard, il restait à peine quelques poils ! « Le corps de l’écureuil a profité à d’autres vivants qui passaient par là… » Une première approche de la vie et de la mort, que les enfants ont suivie avec attention, sans être entravés par la tristesse qu’ils auraient pu ressentir s’il s’agissait de leur animal domestique plutôt que d’un animal sauvage.

Le plus grand/plus fort que soi

Dans la nature, il y a des instants magiques : l’envol d’un gypaète barbu devant soi, une cascade gelée, marcher dans la neige fraîche, un ciel mauve… Dans ces moments-là, il n’y a rien d’autre à faire que s’arrêter et savourer. Émilie Lagoeyte sourit déjà au prochain mercredi qui l’attend avec les enfants : « C’est le mercredi de l’année où tout est jaune d’or ; on est dans une hêtraie, les feuilles sont dorées. Bientôt, elles tomberont. On les met en tas et on joue dedans. On fait une grande fête, avant la pause hivernale de deux mois. »

Parfois, le « plus fort que soi » peut prendre une autre allure, note Nathalie Barras : « Dans les Alpes, on assiste à des événements climatiques violents qui nous remettent à notre juste place. Il y a peu, la route pour accéder à un village voisin a été bloquée 48 heures à cause d’un éboulement, causée par une alternance d’événements météo extrêmes : orages et pluies torrentielles, puis périodes de sécheresse. C’est cela, le changement climatique. Il ne s’agit pas de développer l’éco-anxiété des plus jeunes ou de leur déclamer les rapports du Giec ! Mais on peut créer les occasions de tisser un lien affectif à la nature. C’est parce qu’il y aura ce lien d’amour à la nature qu’une autre attitude naîtra… »

De quoi préparer la future génération, à la fois connectée à la terre et de grandes idées pleins la tête !

Références en notes de bas de page

(1) Elle est coauteure avec Sarah Wauquiez et Martina Henzi de L’École à ciel ouvert, La Salamandre. Elle intervient dans deux écoles suisses en pédagogie par la nature : École aux Akènes et Compagnie Digestif.

(2) Elle est coauteure avec Moïna Fauchier-Delavigne de Emmenez les enfants dehors ! Robert Laffont.

(3) Ancienne professeure des écoles, Émilie Lagoeyte est fondatrice d’Éveil et Nature, auteure avec Cindy Chapelle et Titane de Passeur de nature, transmettre le goût de nature aux enfants, Plume de carotte/Terre vivante.

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