A Bouillé-Lorez (Deux-Sèvres), les tout-petits, petits et moyens ont passé deux nuits et trois jours loin de papa-maman, en cette fin mai. Ils n’étaient qu’à 1h30 de chez eux mais c’était malgré tout une grande aventure, dont ils sont revenus changés. Cela se mesure à un indice : le biberon que les parents avaient glissé dans les affaires de leur enfant (des fois qu’il ait du mal à s’en passer) est resté au fond du sac. Car au petit-déjeuner, tous les élèves ont bu… dans un bol. Pour faire comme les copains et - peut-être - pour épater la maîtresse et l’Atsem !
Aline Dechereux, qui a retrouvé sa petite troupe tout sourire, ce lundi de retour à l’école, est formelle : ses élèves ont grandi ! : « Le changement se voit nettement sur leur manière d’être ».
Une série de premières fois
La liste des « premières fois » vécues en classe découverte est longue… L’enfant a appris des choses qu’il ignorait, bien sûr. Mais aussi, il s’est peut-être lavé tout seul ; il a dormi sans papa-maman ; il a dormi ailleurs que chez lui ; il a vu sa maîtresse en pyjama. Il n’a pas eu peur la nuit. Il a vu un escargot en vrai. Il a goûté des haricots verts qu’il boude d’ordinaire. Il n’a pas piqué de colère du séjour. Il a touché une araignée et un ver de terre. Il a confié à d’autres qu’il était amoureux de Louise. Il est tombé et s’est relevé tout seul.« Quelquefois, c’est également une grande première pour l’enseignant », ajoute Dorothée Scrive, qui travaille avec des CE2 en Rep+ à Toulouse : « Pendant notre séjour en Ariège sur la thématique des petits bêtes, on a pris des criquets dans nos mains ; c’était une découverte pour eux… comme pour moi ! »
“Chacun se souviendra de cette expérience et de l’émotion partagées tous ensemble.
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Apprentissages tous azimuts !
Quand on randonne, qu’on observe les insectes avec une boîte-loupe ou qu’on fait de l’escalade, un parcours d’orientation ou du tir à l’arc, on apprend autrement, forcément. « Surtout que l’enfant lui-même est différent », dit Laetitia Paris, directrice d’un centre de vacances à Enveitg (Pyrénées-Orientales) : « En classe, l’enfant joue son rôle d’élève ; mais ici, il retourne à son ‘’état naturel !’’ Et il se révèle. » Camille Coquelin, qui s’apprête à partir dans les Pyrénées avec ses CP de Castanet (Haute-Garonne), confirme : « Lorsqu’on part, on fait un pas de côté ; et alors, il n’y a plus d’élèves étiquetés ‘’bons’’ ou ‘’moins bons’’. On n’est plus dans ces rôles-là. »
Libérés de ces casquettes qui pèsent parfois lourd, les enfants font de grands pas vers l’autonomie. Bien sûr, tous ne partent pas à égalité, entre celui qui a préparé son sac avec ses parents et celui qui découvre ce que contient sa valise au moment où il arrive. Sur place, tous devront en tous cas prendre de nouveaux repères, s’adapter aux règles collectives.
Ce flot de nouveautés en déstabilise certains, mais le séjour permet de prendre confiance en ses capacités nouvelles. Même sur quatre jours, la progression se voit. Lors des premières randonnées, Dorothée Scrive note que ses élèves peinaient à traverser une passerelle ou crapahuter sur les rochers, mais « en quelques jours, ils ont pris confiance en eux, et ont fait des progrès en motricité : ils ont réussi à se mettre les pieds (bottés !) dans la rivière pour aller chercher des petites bêtes, sont passés au milieu des cochons et des poneys en balade, ont compté les pattes d’une araignée. Même sous la douche ou pour faire leurs lacets, ils sont devenus plus débrouillards. »
Voir la nature autrement
Avec sa classe, on découvre la nature (1) comme on ne la voit pas souvent. Ainsi, au petit matin, Aline Dechereux et ses élèves ont observé une mare, à côté du centre : « On a vu des bébés salamandres ! C’est une espèce protégée, on a eu de la chance… »
Anne Herbrich, coordinatrice pédagogique à la Maison de la nature du Ried et de l’Alsace centrale (2), propose des balades crépusculaires, sur des chemins que les enfants ont arpentés, pieds nus plus tôt dans la journée : « Cela fait un souvenir incroyable, de marcher à la tombée de la nuit, en écoutant la faune ! »
“Frisson garanti, et souvenirs sensoriels de bruits, de lueurs, d’odeurs, inscrits en soi pour toujours.
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« On peut aussi, poursuit-elle, marcher de jour sur les traces et indices (3) des blaireaux et du castor qui a fait tomber un arbre, tout près : Nous avons posé un piège à photos à cet endroit ; on a de petites vidéos des animaux qui passent. » Les enfants adorent, évidemment ! Ils aiment aussi les veillées contes et légendes, faire cuire leurs chamallows sur des branches de noisetier autour du feu.
Partir en début ou en fin d'année ?
Les deux formules ont chacune leur avantage. Un départ en début d’année crée une forte cohésion du groupe, mais l’enseignant doit avoir préparé une partie du séjour avant septembre puis en parler aux familles dès la rentrée pour partir ensuite vers la Toussaint. L’année scolaire s’en trouvera modifiée profondément.
Anne Herbrich se souvient d’une enseignante qui lui a dit en juin dernier : « Pourquoi je n’ai pas fait ce séjour en début d’année ? J’aurais passé une toute autre année avec mes élèves. »
“Mais ce n’est pas toujours possible de partir tôt : certains petits (et leurs parents !) ne sont pas prêts pour un départ précoce en octobre, alors que tout le monde le sera 7 mois plus tard.
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Camille Coquelin confirme : « C’est pour cela qu’avec nos CP, on a fait le choix de partir en juin. »
Mais que l’on parte tôt ou tard, la thématique du séjour devient le fil rouge de l’année : il y a un travail en classe sur le trousseau, un travail lexical autour de la montagne, des gens qui y travaillent, des animaux, etc.
L'enseignant a un poste d'observation exceptionnel
Une classe découverte comporte son lot de surprises. Camille Coquelin commente : « Parfois, ce qu’on aimait chez l’élève en classe, on ne le retrouve pas chez l’enfant : certains élèves qui répondent bien aux exigences scolaires se montrent sous un autre visage, pas très adaptables ni très solidaires… D’autres, peu à l’aise en classe, sont débrouillards, coopérants. » Mais le plus souvent, ce qu’avaient perçu les enseignants se confirme : les enfants faciles à vivre en classe le sont aussi dans la nature ! Et ceux qui ont du mal avec les règles ne les acceptent pas toujours mieux, une fois en classe découverte. C’est parfois décevant, regrette Dorothée Scrive : « J’espérais autre chose d’un garçon en particulier ; cela n’a pas été le cas. Mais en fin de séjour, je l’ai vu capable de rester tranquille une heure, ce qu’il ne fait pas en classe. »
“Les rythmes adaptés et la dépense physique (4) ont peut-être apaisé son surplus d’énergie ? En tous cas, tous les enseignants notent le bénéfice sur la relation avec les enfants.
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Aline Dechereux témoigne : « Nous avons vécu des moments forts : faire de la tyrolienne avec les maternelles, ça a marqué les esprits ! Et puis je leur ai lu l'histoire du soir (5), on s’est fait des câlins. Tout cela a créé un lien spécial entre nous. »
Ce qu'apprend l'enseignant sur lui, sur les enfants
Le lien est d’autant plus fort que pour une fois, l’enseignant est à égalité avec les élèves : lui aussi doit prendre de nouveaux repères (6), dit Dorothée Scrive : « J’ai réalisé l’effort d’adaptation que cela exige, d’être dans un nouveau cadre, d’écouter les animateurs nature parler des petites bêtes. Il faut une attention soutenue ! J’avoue, par moments, j’ai décroché. J’ai retenu la leçon : c’est normal que les élèves n’écoutent pas tout le temps en classe ! »
En outre, c’est très instructif d’observer ses élèves pris en charge pas un autre adulte.
Elle poursuit : « Les animateurs ont été frappés de voir combien les enfants s’éparpillaient, avaient du mal à écouter une phrase jusqu’au bout sans les interrompre. Cela m’a rappelé que certains enfants n’ont pas la disponibilité pour être curieux et se nourrir de choses nouvelles car ils sont occupés à satisfaire des besoins primaires (de nourriture et sécurité) : ‘’Où est-ce que je dors ce soir ?’’, ‘’Qu’est-ce qu’on mange ce midi ?’’ Pour autant, tous les enfants ont adoré ce séjour ! »
Convaincre les parents
Les enseignants le savent : aujourd’hui, on ne part jamais avec tout l’effectif.
C’est malheureux, car certains enfants se retrouvent exclus d’un séjour qui leur aurait plu… C’est alarmant, aussi, car ces absences ont un coût et mettent parfois en péril le projet collectif : un séjour peut être annulé si trop d’enfants manquent. Des parents sont honnêtes : « Laisser partir mon enfant 4 nuits ? Je ne peux pas ! » Ou alors, « Il est encore petit, il partira plus tard. »
“Faut-il insister ? C’est délicat… Notamment si la situation familiale est très précaire ; le séjour pourrait demander à l’enfant des capacités d’adaptation qu’il n’a peut-être plus, en ce moment.
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Parfois aussi, c’est l’enfant qui décide.
Laetitia Paris se souvient d’un garçon de 5 ans, qui râlait en randonnée : « Si j’avais su qu’on marcherait, je ne serais pas venu ! » Laisser le choix à l’enfant, c’est un drôle de cadeau qu’on lui fait…
Camille Coquelin explique : « Il peut ne pas avoir envie de partir en janvier, quand on présente le projet aux familles, puis changer d’avis ensuite. » Cela s’est produit avec une élève. Lorsqu’elle en parle avec la mère, celle-ci dit à sa fille : « Tu te souviens comment c’était dur pour nous, quand ton frère était en classe découverte, l’an dernier ? » Camille Coquelin reprend : « J’ai vu dans les yeux de la fillette qu’elle avait compris qu’elle ne partirait pas… »
A l’inverse, il y a aussi des parents qu’il faut convaincre que leur enfant a sa place en séjour avec les copains.
Cette année, l’enseignante partira à la montagne avec un de ses élèves, atteint de TSA (trouble du spectre de l’autisme). Les parents redoutaient que la prise en charge soit trop lourde pour l’équipe. Un accord a été trouvé : les parents viendront chercher leur fils si le séjour s’avère trop dur pour lui.
Une autre année, Camille Coquelin avait un enfant très difficile à gérer. Que faire ? « Je ne me voyais pas l’exclure… Il a fallu rassurer les autres parents, négocier avec les enfants - volontaires - qui partageaient sa chambre, et dire qu’en cas de souci, je prendrai ce garçon avec moi. C’est ce qui s’est passé, après la première nuit. Cela a été dur, oui. Mais c’était chouette, aussi, car il a vécu les moments de grâce qu’on a partagés tous ensemble. Si on l’avait écarté du séjour, on l’aurait définitivement perdu ! »
Tenir bon sur les règles collectives
Reste un défi, de plus en plus compliqué : faire accepter le principe du collectif.
Avec l’argument massue « mon enfant n’est pas comme les autres », on en vient à des situations absurdes », tempête Laetitia Paris : « Je ne compte plus le nombre d’enfants qui viennent avec leur veilleuse, voire même avec leur oreiller… À 10 ans ! À table, ils refusent de goûter ce qu’ils ne connaissent pas et disent : ‘’J’aime pas. J’ai quoi, à la place ?’’ »
Même constat du côté des enseignants : oui, il faut composer avec les caprices des parents (« Si je n’accompagne pas ma fille pendant le séjour, elle ne part pas »), avec ceux qui détaillent les rituels de leur petit chéri (« Il ne s’endort pas avant 22 heures, vous y penserez, hein ? »), ou ont des demandes étonnantes, comme ce père qui dit à Anne Herbrich : « Je préfère vous fournir les repas de mon enfant ». Enfin, on découvre parfois que cet enfant qui ne mange rien à table est arrivé avec un sac rempli de chips et de crêpes - là, ça a bardé !
Laetitia Paris se désole : « C’est dommage, de ne pas habituer l’enfant à suivre les règles collectives et à survivre aux petits tracas du quotidien… S’il n’est pas capable de passer un bon séjour, entouré de ses copains et son enseignant, comment vivra-t-il avec les autres, plus tard ? »
Camille Coquelin conclut : « Le rapport à la contrainte a changé : avant, on vivait comme le groupe. Mais aujourd’hui, c’est devenu compliqué, pour certaines familles, de se conformer à des règles collectives. » Heureusement, la plupart des parents plébiscitent toujours ces séjours !
« On repart ? »
Même s’il faut renoncer à emmener 100% des élèves, même si l’époque est moins porteuse et même si les enseignants n’ont aucune gratification pour cette disponibilité de tous les instants, beaucoup disent : « L’an prochain ? On repart ! » Aline Dechereux, éreintée mais heureuse, détaille : « Voir mes élèves ravis, et constater que les parents nous ont suivies, c’est tellement motivant. Et moi aussi, je suis ravie : on a vécu des moments exceptionnels ! » En éducation prioritaire, plus encore que partout ailleurs, beaucoup tiennent à ouvrir leurs élèves à ces aventures qu’un bon nombre ne vivra peut-être pas en famille.
Dorothée Scrive confirme : « Avec ma collègue, on n’avait pas encore fini le séjour qu’on a décidé de repartir… Voir les enfants autrement, c’est si positif ! Et c’est une chance pour eux, de vivre ces moments. Cela n’a pas révolutionné les problèmes de gestion de classe, bien sûr. Mais cela a rappelé à tout le monde combien on manque de nature à l’école ! »
En souriant, Laetitia Paris raconte la visite récente d’un père, ému, venu avec ses enfants : « Je voulais montrer à mes enfants où j’étais en classe découverte, quand j’avais leur âge… ».
“Oui, c’est sûr, ces petits-déjeuners avec la maîtresse, ces balades de nuit, ces observations, les deux pieds dans la rivière : tous ces moments magiques laissent des traces indélébiles. Elles donneront à tous, peut-on espérer, l’envie de chérir à leur tour la nature, une fois devenus adultes.
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(1) Organiser une classe verte, une sortie scolaire en pleine nature, un article de Isabelle Desprez du site ecole.salamandre.org
(2) à Muttersholtz. https://maisondelanature.muttersholtz.fr
(3) Voir Le Guide nature Traces et indices, éditions La Salamandre - Le guide indispensable pour pister les animaux et décrypter les végétaux
(4) Comment pratiquer plus de sport avec ses élèves grâce à la nature ?, un article de Mariane Riauté
(5) Découvrir Histoires Nature de la Petite Salamandre, Histoires nature de la Petite Salamandre pour s'aventurer, Histoires nature de la Petite Salamandre pour sémerveiller, éditions La Salamandre
(6) Dans la nature, l'enseignant change de posture !, un article d'Anne Lamy du site ecole.salamandre.org