Coopérer dehors, une nécessité !
Ce n’est pas simplement par bienveillance que les enfants coopèrent, mais parce que face à ce « plus grand que soi » qu’est la nature, il vaut mieux le faire, note Agnès Perreau, coordinatrice des projets nature au Frene (1): « La nature est moins maîtrisable que l’est une salle de classe : son impermanence fait que dehors, les enfants doivent s’épauler et s’entraider. »
Et Alix Cosquer, chercheuse en psychologie environnementale (2), détaille : « Quand des enfants petits explorent un environnement naturel, ils le font ensemble ; c’est plus facile de le découvrir à plusieurs, et cela crée des interactions plus riches que ce qu’ils vivent en classe. Avec des plus grands, s’ils se posent une question face à une découverte, chaque enfant émet une hypothèse, qui sera testée par le groupe. »
Mais peu importe avec qui on est amené à coopérer. Imaginons un enfant de 9 ans, devant un tronc d’arbre qui fait son poids. Le déplacer là où la classe va goûter, pour en faire un banc, c’est mission impossible sans le renfort d’autres paires de (petits) bras musclés ! S’il n’a pas ses amis sous la main, parce qu’ils sont occupés ailleurs, il fait appel à ses voisins, que ce soit ou non ses copains.
Apprendre à coopérer avec tout le monde
Marion Courtiol, qui fait l’école dehors à ses 15 élèves du CP au CM2, à Hures-la-Parade (Lozère), observe combien les enfants se « mélangent » aisément, dans la nature. « Je pense à des fillettes de CP, mutiques en classe et peu complices avec les grandes en récréation. Mais dehors, elles sont plus à l’aise ; elles n’hésitent pas à interpeler une CM2 : ‘‘Toi qui es plus forte que moi, tu veux bien m’aider ?’’».
Dehors, dès qu’il y a un projet commun, chacun amène son expertise : « Certains vont chercher du bois pour une construction, d’autres, des cailloux ; d’autres sont les architectes. De petits groupes d’enfants au but commun se constituent, sans forcément qu’il y ait d’affinités entre eux ! »
“La nature nous fait revenir aux fondements de base de tout groupe social : dehors, quand il pleut, quand il fait froid, c’est la même chose pour tout le monde, peu importe sa position sociale ! Il y a une forme d’identité commune qui nous fait aller les uns vers les autres. Et plus les enfants sont jeunes, plus cela se vérifie, car ils n’ont pas autant de filtres sociaux que leurs aînés...
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Florian Houdelot, animateur nature au Graine Bourgogne Franche-Comté, n’est pas étonné : « Dans ces situations, l’enfant focalise son attention sur autre chose (ici, sa curiosité) que la relation sociale. Être dehors affranchit de certaines représentations sociales, de type ‘‘Cet enfant est peu aimé du groupe, alors je ne joue pas lui’’, ou ‘’Il faut se débrouiller tout seul’’.
Se libérer de son costume social
La nature nous fait revenir aux fondements de base de tout groupe social : dehors, quand il pleut, quand il fait froid, c’est la même chose pour tout le monde, peu importe sa position sociale ! Il y a une forme d’identité commune qui nous fait aller les uns vers les autres. Et plus les enfants sont jeunes, plus cela se vérifie, car ils n’ont pas autant de filtres sociaux que leurs aînés... » Ils ne vivent pas leur interdépendance comme une vulnérabilité mais comme un état de fait, qui n’empêche pas que chacun apporte ses talents au pot commun !
Et Alix Cosquer complète : « La nature permet de se libérer de son "costume social", de fille/garçon, costaud/faible, fort/fragile en classe, etc. En rebattant les cartes, elle permet aux enfants de se mélanger entre eux ! » Enfin, poursuit-elle, « avoir des affinités ne mobilise pas les mêmes compétences que travailler ensemble ; l’expérience de coopérer avec un élève qui n’est pas un ami crée une reconnaissance mutuelle des compétences de chacun, un respect de l’autre. Cela ouvre l’horizon… »
L’entraide, plus naturelle à l’école dehors qu’en classe...
Dehors, Marion Courtiol s’étonne de voir ses élèves fonctionner en un seul groupe, alors qu’en récréation, ils sont plus dispersés. « Les grands montrent la voie aux petits : ‘‘Mets ton pied ici ; attention, ça glisse : la branche est pourrie !’’ Les plus petits, eux aussi, peuvent devenir tuteurs s’ils connaissent la nature ! Ils adorent faire découvrir des choses aux grands... Et s’il faut prendre une décision, par exemple sur ce qu’ils feront lors du jeu libre, ils en débattent ensemble. »
“En classe, on est centré sur soi... en compétition avec les autres ! Car le modèle, encore dominant dans l’institution scolaire, favorise plutôt la compétition, la performance ou encore le « non-droit » à l’erreur. La pratique de l’école dehors donne aux enfants un autre éclairage !
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L’entraide dehors est d’autant plus facile, pour Agnès Perreau, que les activités s’y prêtent. « En classe, les tâches sont plutôt individuelles. On se soucie moins de ce que font les autres, lorsqu’on est centré sur son exercice de maths. » Alix Cosquer : « En classe, on est centré sur soi... en compétition avec les autres ! » « Car le modèle encore dominant dans l’institution scolaire, souligne Florian Houdelot, favorise plutôt la compétition, la performance et le « non-droit » à l’erreur.
La pratique de l’école dehors donne aux enfants un autre éclairage ! Qu’ont-ils à gagner à l’entraide ? La question se pose, car le discours qui prévaut souvent, c’est ‘‘Pourquoi j’aiderai les autres si je n’ai rien à y gagner ?’’ Les enfants y gagnent quelque chose de précieux : un sentiment d’utilité sociale, et le plaisir de participer à un but commun. » « À condition, note Alix Cosquer, que l’entraide soit présentée comme nécessaire et valorisée par l’adulte... »
Plus de travail collaboratif et plus d’espace pour soi
Dehors, l’enseignant fonctionne en pédagogie de projet – par exemple, construire une cabane – qui exige d’être à plusieurs. Les élèves de Marion Courtiol travaillent toujours à trois, un CP, un CE2 et un CM2. Outre ce contexte propice au travail collaboratif, il y a aussi l’effet de la motivation intrinsèque, analyse Agnès Perreau : « Voir ses copains fabriquer quelque chose (un ouvrage sur un ruisseau, etc.) donne envie de faire avec eux... Donc de s’entraider ! »
Enfin, dans la nature, la gestion des émotions est facilitée pour trois raisons : « D’abord, l’enfant peut plus aisément libérer ses émotions. S’il est énervé, il s’isole du groupe le temps de se calmer. De plus, la nature a un effet apaisant, qui accélère le retour à un état plus tranquille. » Enfin, disposer de plus d’espace qu’en classe fait que les échanges sont moins... vifs ! Autant d’atouts précieux pour coopérer sans que la tension s’envole au premier désaccord.
Une autre chance de se révéler à soi-même et aux autres
« En primaire, dit Marion Courtiol, ce n’est pas facile de trouver sa place quand on n’est pas scolaire. Mais si l’enfant est débrouillard dans la nature, il se sent valorisé ; alors, il s’exprime plus et se dévoile. Cela lui donne une autre identité ! » L’enseignante l’a vécu avec un de ses élèves. Ses parents venaient de se séparer ; malheureux d’avoir dû changer d’école et quitter ses copains, il se sentait exclu en classe. « Alors qu’il ne parlait pas à sa mère de ce qu’il faisait en classe, le garçon lui a raconté ses après-midis de nature : l’école du dehors l’a boosté ! Lui qui était passionné de nature est devenu référent nature. Il s’est ouvert aux autres... Et n’a plus eu de mal à raccrocher les wagons, en classe. »
La métamorphose ne s’opère pas seulement sur l’enfant non scolaire ; ses camarades prennent l’habitude de regarder autrement un enfant mal à l’aise en classe mais si habile dans la nature. Ils se découvrent plus solidaires, plus tolérants. C’est ainsi que l’école fait grandir, en permettant à chacun de révéler à soi-même et aux autres la plus belle part de soi, apte à communiquer, créative et attentive à l’altérité.
Une posture qui résonne avec une question de Philippe Meirieu (3): « Le monde dans lequel nous entrons, est-ce un monde de juxtaposition de clans, qui s’entendent bien entre eux mais qui ignorent les autres ? Ou un monde de gens qui créent des réseaux de coopération entre eux ? » Ces enfants si coopérants ont déjà choisi leur réponse...
La coopération, vue par les élèves...
- Kylian 10 ans, CM2, Hures-la-Parade (Lozère) : « Cet hiver, les copains de la classe m’ont demandé de venir voir les traces d’animaux qu’ils avaient trouvées, pour savoir ce que c’était. C’est ça, la coopération ; c’est quand on s’entraide. On coopère mieux dehors qu’à l’école : il y a moins de triche, moins de frictions entre nous... La recette pour bien coopérer ? Ne pas se crier dessus, et se parler ! »
- Raphaëlle, 13 ans, Mancenans (Doubs) : « En CM2, on allait en forêt chaque semaine. On travaillait par groupe de 5-6. Une fois, on devait trouver des traces d’animaux ; on en a vu plein : chevreuil, renard, écureuil, blaireau ! Ce n’était pas forcément des élèves que je fréquentais, à l’école. Mais en forêt, on était intéressés par les mêmes choses. Cette motivation commune faisait qu’on travaillait bien, alors qu’en classe, pour faire des maths, la motivation... c’est d’être avec ses copines ! De retour en classe, je ne suis pas devenue amie avec ces élèves ; mais on se parlait plus. »
Références en notes de bas de page
(1) Site : frene.org (ex Réseau école et nature)
(2) Et auteure de 40 expériences 100 % nature pour petits éco-responsables, Belin Jeunesse et de Le Lien naturel, Pour une reconnexion au vivant, Le Pommier.
(3) Visioconférence « Comment coopérer pour une éducation dehors pour tous ? », Philippe Meirieu et Isabelle Peloux ; Frene, 21 janvier 2021.